Via plusieurs pirouettes, l’intercommunale liégeoise échappe, avec la complicité de Voerbelangen, au cadre légal régional.

La chronique est longue et ardue. A tel point que même nos interlocuteurs, experts du dossier, semblent s’y perdre. En réalité, cela fait plus d’une décennie que le phénomène est dénoncé cycliquement au sein du monde politico-économique wallon. « La nébuleuse Nethys et ses pratiques conduisent à abîmer la démocratie », peste d’emblée une source parlementaire régionale. 

Et de planter le décor : « Le groupe Nethys/Brutélé (Voo) échappe depuis plus de dix ans au droit wallon. Son actuel directeur général, Stéphane Moreau, par ailleurs bourgmestre socialiste de la commune d’Ans, multiplie les entourloupes afin d’échapper aux législations wallonnes en matière d’intercommunales et d’interrégionales ainsi qu’au contrôle de la tutelle. »

Pour bien com prendre l’enjeu, il faut remonter en 2005. A l’époque, c’est l’ALE, l’Association liégeoise d’électricité, qui est en charge de la distribution d’électricité dans la Cité ardente ainsi que dans quelques communes de la province de Liège (jusqu’à son intégration au groupe Tecteo sous le nom de Resa Electricité à la fin des années 2000).

Lorsqu’il prend les commandes de l’intercommunale, Stéphane Moreau décide d’y faire entrer la commune des Fouronscommune à facilités enclavée en Région wallonne mais rattachée depuis 1963 à la province flamande du Limbourg. L’objectif : se mettre à l’abri des règles wallonnes en matière d’intercommunales et ainsi échapper à la disposition décrétale régionale de l’époque qui interdisait aux directeurs d’intercommunales d’être en même temps bourgmestre d’une commune wallonne. « En incluant les Fourons dans l’opération, Stéphane Moreau et l’ALE contournaient ainsi le droit wallon et le contrôle de tutelle », s’offusque une source proche du dossier. 

Ceci, au nez et à la barbe des autres directeurs d’intercommunales qui s’étaient pour leur part soumis aux règles alors en vigueur. Au cours des années qui suivront, ce cas singulier d’ »ingénierie » fera l’objet de multiples débats animés au sein du Parlement wallon ainsi qu’avec les autres régions du pays. Le but ultime donc : récupérer la tutelle et l’application du droit régional sur l’ALE.

Anti-cumulards

Il faudra toutefois attendre la législature 2009-2014 et son exécutif, l’Olivier (PS-CDH-Ecolo), pour voir les mesures envisagées prendre forme. En 2010, un décret wallon visant à compléter la première équation est ainsi voté afin d’établir la règle selon laquelle un bourgmestre d’une commune wallonne ne peut plus être directeur d’une intercommunale et ce, qu’elle soit régionale ou non. La première disposition décrétale, couplée à la seconde, signifiait qu’un bourgmestre d’une commune wallonne ne pouvait pas non plus être directeur d’une intercommunale bruxelloise… ou flamande. CQFD ? Pas vraiment.

Au cours de la première phase de sa mutation, l’ALE-Tecteo créera alors plusieurs filiales (voir le graphique ci-dessus). La disposition décrétale précitée ne s’appliquant pas aux directeurs des filiales des intercommunales, Stéphane Moreau aurait trouvé une nouvelle « parade » consistant à transférer l’entièreté de l’activité de l’intercommunale Tecteo dans ses filiales, et à prendre pour sa part la direction de celles-ci. « En faisant diriger Tecteo par un homme de paille tout en restant directeur général des filiales, Stéphane Moreau parvenait encore à s’af franchir du droit wallon, nous expose-t-on. Et tout cela, en conservant une situation matérielle identique. »

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Nethys en pleine réorganisation

Last but not least dans ce marathon décrétal, un texte visant à clarifier une bonne fois pour toutes cet imbroglio sans fin sera voté au terme de la précédente législature, soit en 2014. Il prévoyait notamment une entrée en vigueur de la législation au premier juillet 2015. Devenu entre-temps Publifin SCIRL en juin 2014, Tecteo n’avait alors d’autre choix que de se plier à ces nouvelles réformes. « Le bourgmestre d’Ans ne pouvait cette fois plus échapper aux règles anti-cumul », nous confie-t-on. 

Sauf que… cette échéance sera finalement reportée de deux ans à la demande du PS et du CDH, assure une source écologiste.  » C’est incompréhensible. Nous attendions cette échéance et ces clarifications depuis plus de dix ans. Résultat : Nethys vit toujours aujourd’hui en dehors des règles wallonnes de contrôle. » Une proposition de décret, déposée par le groupe Ecolo au Parlement de Wallonie, visant à faire également tomber sous le coup de la législation wallonne les directeurs des filiales et sous-filiales des intercommunales, est actuellement à l’étude.

Depuis décembre 2013, le groupe Tecteo, devenu Nethys, connaît une réorganisation en profondeur de ses structures (voir épinglé ci-dessus). Le modèle retenu est similaire à celui mis en œuvre dans de grands groupes détenus par des actionnaires publics actifs dans des métiers apparentés comme Fluxys, Elia ou encore Ethias. 

Publifin est aujourd’hui l’intercommunale qui possède les parts et dont les communes sont actionnaires. L’un des objectifs poursuivis par Nethys est de renforcer le rapprochement des activités de gestion de réseaux de distribution d’énergie avec l’activité télécom. En coulisses, certains s’interrogent enfin sur le sens précis de certaines initiatives prises par Nethys. « Que l’on m’explique où est l’intérêt communal lorsque cette structure nébuleuse rachète un journal dans le sud de la France ? », balance une source. On cherche encore la réponse.

ALICE DIVE Publié le